Pour la une du mois d’octobre, découvrez Dadi, un jeune artiste et photographe ivoirien qui porte son art et ses valeurs à travers le monde.

Comment ta passion pour la photographie est-elle née ? 

Ma passion pour la photographie est née de mon amour pour le beau. Je suis issu d’une famille de littéraire, écrivains, poètes, journalistes. Mon père et mes oncles sont de fins amateurs d’art et de voyage, très connectés à la nature. Et ma mère m’a transmis son goût du détail, de l’excellence et une profonde sensibilité spirituelle. J’ai donc grandi avec ces influences.

A travers l’art, les livres, la musique, la technologie, mes parents m’ont très vite ouvert sur le monde ; j’ai été nourri d’influences du monde entier et j’ai appris à rêver. Ils m’ont transmis beaucoup d’amour. La photographie est juste un moyen pour partager tout l’amour et la poésie que je porte en moi. L’art me permet de transmettre, partager et enrichir mon âme ainsi. Nuits Balnéaires symbolise toute cette poésie, d’Abidjan à Grand-Bassam, à toute la région du Golfe de Guinée et de son énergie incomparable et mystique. 

Comment définirais-tu ton travail ? 

Une ode à l’amour, à la beauté, à la tolérance et à l’élévation vers des valeurs et une sagesse supérieure. 

Quelle est ta démarche créative ? 

Fonction de s’il s’agit d’une commission ou d’un projet personnel, mon processus est différent. Dans le cadre d’une commission, je m’imprègne des besoins et des contraintes du projet. C’est important de savoir les objectifs pour que le concept proposé ainsi que la direction restent cohérents. Mon background en marketing m’aide dans cette étape. Les concepts proposés sont généralement une combinaison des besoins du projet et de mon interprétation artistique et esthétique. Dans le cadre des projets artistiques personnels, tout part en général d’une fascination, d’une préoccupation, d’une frustration, en somme d’une vision à partager. En fonction du message, je décide du médium le plus approprié : photographie, film, écriture, sculpture, son…  Je consacre ensuite beaucoup de temps à la recherche sur le sujet que je veux aborder avant d’en lancer la production. 

Photo Dadi pour TCHEYA Octobre 2019
Photos : Adama Touré – Studio : M’Studio – MUA : Bintou Coulibaly – DA : Dadi – Stylisme : Kader Diaby/Olooh Concept

Quel est ton rapport à la photographie de mode aujourd’hui ? 

Elle m’apporte énormément, me permet de voyager, de me découvrir. J’avais besoin d’un lieu pour challenger ma créativité et développer une esthétique dans un environnement ou le détail et le dépassement de soi sont importants. La mode m’a offert cet espace tant à Abidjan qu’à l’étranger. Avec des succès, des échecs mais qui étaient au final que des leçons. Il y a malheureusement cette image très superficielle qui est associé à la mode et qui est complètement absurde dans une industrie où j’ai vu les âmes les plus profondes, travailleuses et visionnaires. Je continue de photographier des collections et faire des collaborations avec des marques. Ce qui m’intéresse à terme, c’est surtout d’utiliser pleinement cette esthétique et tout ce que j’ai appris pour véhiculer des valeurs à travers mes projets artistiques personnels. 

Parles-nous de ton expérience Afrodyssée ? 

Afrodyssée était inspirant. Le fait de se retrouver à Genève avec tout ces talents et créatifs issus du continent et surtout de Côte d’Ivoire était particulièrement enrichissant. Nous avons partagé nos expériences respectives autour d’un panel avec la CNUCED (Nations Unis) et j’en suis revenu davantage engagé à incarner le changement que je souhaite voir sur ce continent. 

AN AFRICAN MOVIE est né de cette vision ; l’énergie dans les coulisses d’Afrodyssée avant et pendant le défilé était incroyable. Il y avait une dynamique, un mouvement et une fluidité dans les rapports humains à 

l’image de toute l’énergie du continent. D’où ‘’Movie’’ pour appuyer l’aspect du mouvement, de l’image en mouvement, l’image d’une afrique unie et avançant ensemble pour parachever le combat de la liberté engagé par nos ancêtres. C’est un statement. 

Comment se font tes collaborations artistiques avec les marques et les artistes étrangers ? 

Elles se dessinent en général très naturellement, parfois d’une simple conversation en DM instagram, ou un e-mail que je découvre avec une commande d’une marque. C’est à chaque fois une aventure très enrichissante . 

Quelle est la collaboration panafricaine ou internationale qui t’a le plus marquée ? 

Il y en a eu plusieurs jusqu’ici, mais je pense que le NICE MAGAZINE, produit par Flurina Rothenberger, Hammer et leur brillante équipe était un tournant décisif dans ma carrière internationale. J’ai pris part à une formation de 6 semaines avec de talentueux photographes et artistes tels que Kader Diaby, Obou, Ngadi Smart, Cédric Kouame, Théophanie Kibezkhi. Nous avons parallèlement développé l’édition abidjanaise du Nice Magazine. Un très beau magazine d’art itinérant, raconter par les artistes de capitales africaines.

J’ai été sélectionné pour prendre part à une exposition à Amsterdam qui fut une expérience radicale : se retrouver à UNSEEN, l’une des plus grandes foires de photographie au monde au côté de certains des plus grands noms du monde de l’art. C’était un peu surréel d’expérimenter cela après des années de travail, de difficultés et de doutes parfois ; mais surtout de persévérance récompensée finalement. J’ai rencontré des personnes incroyables, été dans des lieux absolument magiques. C’est une expérience qui m’a énormément fortifiée, inspirée . 

Dadi pour TCHEYA Octobre 2019
Photos : Adama Touré – Studio : M’Studio – MUA : Bintou Coulibaly – DA : Dadi – Stylisme : Kader Diaby/Olooh Concept

Comment est née l’idée de cette exposition inédite avec TOYOTA au SHOWROOM CFAO ? 

Elle s’est faite par l’intermediaire d’une amie peintre Carine Mansan, membre d’un collectif d’artistes ivoiriens que nous développons depuis plusieurs mois. Ce collectif est une plateforme de partage d’enrichissement de notre vision pour l’art en Côte d’Ivoire et pour son rayonnement à l’internationale, à travers l’union de nos forces et la mise à disposition de nos réseaux respectifs locaux et internationaux. Nous avons développé et présenté chacun des travaux sur le thème de l’afro-présentisme et la spiritualité africaine. Ce fut un succès et le client Toyota semblait très satisfait. Nous comptons multiplier des expositions de ce type tant à Abidjan qu’autour du monde. 

Es-tu conscient, en tant que jeune créatif ivoirien, de porter haut les couleurs de ton pays par la voie de ton talent ? 

J’aimerais faire davantage. Mais au delà du rayonnement de mon pays, c’est surtout des valeurs que je m’efforce de véhiculer tant au niveau local qu’international. 

Quel est le sentiment qui t’anime à cette idée ? 

C’est une responsabilité qui demande de se surpasser, se réinventer sans cesse en plus d’une gestion stratégique de la carrière si on veut pouvoir competir et tenir sur un marché international extrêmement concurrentiel. C’est davantage un challenge lorsqu’il n’y a aucun soutien des autorités. Mais je pense que la jeunesse ivoirienne commence petit à petit à comprendre qu’il faut arrêter de se plaindre et se bouger elle-même pour régler les choses à régler. Les générations précédentes ont déjà fait le combat de la liberté.

Aujourd’hui, on a tous un accès à l’information donc à l’éducation. En tant que jeune africain en 2019, je pense qu’on a tous les outils à disposition pour incarner pleinement cette liberté et réellement rayonner à l’international tout en étant nous même. C’est la même terre, le même sol, sur lequel les gens marchent à Abidjan, Lagos, New York ou Tokyo. Donc, allons diffuser la bonne nouvelle. 

Quels sont tes projets futurs (si tu peux en parler) ? 

Mes projets futurs sont en développement et sont confidentiels pour le moment. Cependant, j’écris beaucoup en ce moment ; je réalise aussi plusieurs films, séries de photographies et j’explore de nouveaux médiums auxquels je n’osais pas toucher jusqu’ici. Certains des travaux seront disponibles dès 2020.

Mon déménagement à Grand-Bassam m’a permis de me rapprocher davantage de la vision derrière Nuits Balnéaires ; mais surtout de me recentrer sur ce qui compte vraiment pour moi, ma responsabilité en tant qu’artiste et être humain, car le temps qui nous est imparti sur terre reste très limité. On n’a pas le temps en fait et je suis très inquiet de la perte de valeurs simple d’amour, de tolérance, de respect du sacré, des viols infantiles à répétition, des profanations de tombes, la corruption exacerbée et d’autres situations qui doivent sérieusement nous alarmer et nous pousser à nous questionner sur notre modèle de société. La société ivoirienne d’aujourd’hui oeuvre très peu dans ce sens. Je pense qu’au delà de la course aux chiffres et à l’enrichissement financier ; le vrai challenge pour ce continent est la préservation de ces valeurs humaines élémentaires.

La condition humaine dans notre société actuelle, la mystique et les questions politiques sont entre-autres des thèmes abordés dans les projets que je développe en ce moment. Nos parents, grand-parents et ancêtres africains nous ont toujours éduqués dans l’espoir qu’adultes nous devenons des sages, des personnes avec des connaissances poussées, des valeurs profondes, respectueuses du sacré et en mesure de transmettre tout ça à leur tour. Nous évoluons dans un monde où les valeurs promues sont malheureusement toutes autres. Je suis moi même bien loin de cet achèvement, mais c’est bien la que je compte emmener ma génération. C’est ça mon message. 

Couverture individuelle - Dadi - TCHEYA Octobvre 2019
Photos : Adama Touré – Studio : M’Studio – MUA : Bintou Coulibaly – DA : Dadi – Stylisme : Kader Diaby/Olooh Concept